mardi 19 février 2008
N'oublions jamais Orwell
Freedom is the freedom to say that two plus two make four. If that is granted, all else follows.
De toute mon existence, il y a seulement deux romans que j’ai lus à plus d’une reprise : 1984 et l’hygiène d’un assassin. Lire 1984 est devenu une tradition annuelle très plaisante que je n’ai aucunement l’intention de changer. Chaque lecture est une redécouverte d’un trésor de l’imaginaire humain. Il y a plusieurs raisons faisant en sorte que j’apprécie particulièrement ce roman dystopique par excellence.
Dès le début, Orwell nous plonge en pleine atmosphère du régime de l’Océanie. Bien entendu, il n’a rien inventé au culte de la personnalité que l’on peut percevoir avec l’icône Big brother, mais c’est au niveau des rapports sociaux entre les citoyens de l’Océanie qu’il arrive à aller nous chercher. Il décrit une société qui n’a rien à offrir d’autre que la haine qu’éprouvent les divers citoyens les uns envers les autres. La haine est en fait la solution pour la rendre immortelle. Il décrit les mœurs des citoyens ainsi que le genre de travail qu’ils accomplissent, et ce, avec une froideur troublante. Les deux minutes de la haine sont clairement un bel exemple des événements quotidiens les plus intéressants.
Il y a plusieurs phénomènes et concepts ensorcelant dans le roman, mes deux favoris sont définitivement le « Newspeak » et le « double thinking ». Le Newspeak est la nouvelle langue que le régime impose petit à petit. Il s’agit de la langue anglaise après avoir subi une cure d’amaigrissement au niveau vocabulaire. Par exemple, le mot mauvais (bad, en anglais) est éradiqué du vocabulaire pour le remplacer par « ungood » ou inbon en français si je ne me trompe. Meilleur et excellent sont aussi retiré pour être remplacé par « très bon » et « doublement très bon ». Parenthèse intéressante, après avoir eu mes cours de philosophie du langage je me suis rendu compte qu’en fait le Newspeak ressemble à ce que Frege, Russell et les autres philosophes voulaient créer comme langue, une langue purement logique. Retirant toutes les contradictions métaphoriques et grammaticales. Une langue ne pouvant laisser place à l’erreur d’interprétation. Le newspeak non seulement élimine des mots considérés comme inutiles et trompeurs, mais il raccourcit les mots qui peuvent l’être, et ce jusqu’au limite du possible. Un exemple marquant se matérialise alors que le personnage principal, Winston Smith, est à son bureau. Il reçoit une note des correctifs qu’il doit apporter à un article de journal :
“Times 3.12.83 reporting BB dayorder doubleplusungood refs unpersons rewrite fullwise upsub antefiling” - p.41 de l’édition penguin.
Bien entendu, l’auteur traduit ce qu’une telle note voulait dire un peu plus tard, mais il est intéressant d’y voir une ressemblance avec le langage pratiqué par les jeunes adolescents sur MSN. Bien entendu, le « langage msn » n’a pas été imposé par un régime totalitaire, c’est selon moi ce qui est de plus troublant. Le but de parlé en langage est msn est une paresse intellectuelle flagrante et culturellement dangereuse à mon avis même si les avis sur l’avenir du français au Québec se contredisent à plus d’un niveau. Le but du Newspeak n’est évidemment pas le même que celui des adolescents. Les « ados » veulent être cool et rapides, alors que le newspeak est un instrument pour tendre vers le pouvoir. Cependant, la conséquence de l’utilisation de l’un où de l’autre mène à la même chose, un appauvrissement intellectuel considérable. En éliminant des mots involontairement ou volontairement, nous négligeons un moyen de nous exprimer. Ne pas savoir la différence entre la crédulité et naïveté peut faire une différence lorsqu’on tente d’exprimer un état d’esprit que nous ressentons et confondre les deux ne nous mène à rien. Ne pas savoir la différence entre le mépris et la haine peut aussi s’avérer problématique. Non seulement on ne peut décrire ce que l’on ressent, mais cela laisse aussi place au doute par rapport à ce que l’on ressent. Ce qui m’amène à une parenthèse philosophique. Peut-on se permettre de tenir pour savoir quelque chose que nous sommes en l’incapacité de décrire ? Il est difficile d’avoir un diagnostic médical efficace lorsque l’on est dans l’impossibilité de décrire les symptômes de ce que nous aurions. Tout cela rend fascinant l’aspect du langage dans l’univers du roman.
Le deuxième aspect est le « double thinking » qui est défini comme suit :
“The power of holding two contradictory beliefs in one's mind simultaneously, and accepting both of them”
Par exemple, le mot blackwhite. Logiquement il est impossible qu’un objet soit à la fois noir et blanc à la fois dans sa totalité. Cela demande alors un tour de force logique et de déni. La chaise peut-être blanche et noir à la fois, cela varie uniquement en fonction des désirs des personnes au pouvoir. Si Stephen Harper me dirait cette chaise est noire, alors que je sais pertinemment que ce n’est pas le cas, alors il faut que je me force à croire qu’elle est en fait noir, qu’elle a toujours été noire et qu’elle sera toujours noir dans le futur à venir. Et vice versa la minute où M. Harper changerait d’idée. Cela demande un tour de force logique incroyable et aussi une forte capacité à nier les choses, car il faut que j’oublie que je savais que cette chaise était blanche et que je crois avec tout mon cœur qu’elle est en fait noire.
Autres les concepts, plusieurs thèmes sont mis en valeurs à travers son livre. La première partie du livre introduit principalement l’univers de l’Océanie, la deuxième porte principalement sur l’histoire d’amour entre Winston et Julia et la dernière partie, et non la moindre comporte sur la souffrance et la raison. L’amour est abordé vraiment d’une façon non idéaliste et nous amène à nous poser plusieurs questions. Cette vision de l’amour est très connexe à l’image de l’homme qu’Orwell montre tout le long du l’histoire. L’homme est vraiment une créature égoïste et Orwell l’exprime à plusieurs occasions qu’il s’agisse d’enfants ou même d’amoureux. Tout ce qui est abordé dans la troisième partie est un trésor en soi. La troisième est définitivement la meilleure du livre et je suis justifié de croire que je n’ai jamais rien lu d’aussi terrifiant de toute ma vie. Les dialogues, entre les deux personnages présents principalement dans cette partie, sont tellement absorbants. Il y a une relation maître-élève et à la fois persécuteur-victime très intéressante. Tout le long, la raison de Winston, ainsi que son corps entier fait face aux pires tortures. Son esprit est constamment confronté au « double thinking » et doit faire face à une dite réalité. La tourmente fait place à une fin choquante, troublante, ne pouvant laisser qui que ce soit indifférent.
Autre thème intéressant est évidemment la guerre perpétuelle des trois superpuissances du monde : l’Océanie, l’Eurasie et l’Est-Asie. Tout le long de l’histoire, une ambiance de guerre se fait constamment sentir. Des bombes tombent aléatoirement dans la ville de Londres. Il y a aussi des défilés militaires, la semaine de la haine, etc. Ce qui est encore plus fascinant c’est que cette guerre est tellement continuelle qu’elle cesse alors d’être menaçante. Les superpuissances sont pratiquement en termes de forces et d’armements au même niveau et donc aucune d’entre elles ne peut avoir d’avantage quelconque sur une autre, sauf en faisant une alliance quelconque. Le dilemme des guerres reste le même, les trois super nations restent sur leurs positions et n’ose risquer une défaite humiliante. Alors, elles ne font que reprendre les mêmes territoires sans cesse et changent leur diplomatie continuellement, préférant toujours s’allier à deux pour en attaquer une, puis du jour au lendemain, canceller l’alliance et attaquer l’ancien allié avec l’ancien ennemi.
Ceci n’est qu’une fraction des choses qui m’intéresse tant de ce roman. Sans compter les slogans tellement accrocheurs et troublants que le maître de la dystopie George Orwell a pensés. Il a créé un univers riche en détail pour le rendre très terrifiant et juste assez réaliste. Cependant, après avoir lu ce roman ont ne peut que constater que plusieurs des choses décrites par Orwell en 1949, ce produise aujourd’hui et presque aussi pire. Tout cela faisant d’Orwell un écrivain remarquable ainsi qu’un visionnaire. Il est tellement dommage qu’il n’est jamais vécu assez longtemps pour connaître le succès de son livre. Je ne pourrai jamais recommander assez ce chef-d’œuvre de George Orwell.
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