1 :50 du matin, la pensé de me coucher traverse mon esprit. Alors que je me brosse les dents, je me suis fixé le blanc des yeux comme je le fais si souvent, pour finalement tomber dans une envie d’écrire subitement. J’avais repensé à ce que Gabriel avait écrit dans ce message sur un personnage quelconque nommé Carmen. Les quelques citations qui accompagnaient le nom de cette femme en disaient long sur elle.
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Et si je t’aime, prends garde à toi.
Je ne t'aime que parce que tu ne m'aimes pas. Alors si je t'aime et que tu me laisses entrer dans ta vie, tu vas prendre du mal.
La première fois que mes yeux ont lu ces passages, j’ai éprouvé une certaine colère face à ce qu’ils signifiaient. Le sommeil ne venait plus, il fallait que j’écrive, mais j’étais plongé la tête première dans les profonds marrais de mes réflexions. Les mots se faisaient la guerre, et il m’était impossible de m’endormir dans de telles conditions, mais ça ne me dérangeait pas. Je me sentais encore une fois dans un duel. Contre qui ou quoi, je l’ignorais. Peut-être que c’était moi que j’essayais de vaincre, peut-être Carmen. Son discours me rappelait exactement Phèdre de Platon. Dans ce dialogue, Socrate et Phèdre analysent le discours d’une lettre de Lysias qui est en fait une déclaration d’amour. Carmen et Lysias ont pratiquement utilisé les mêmes paroles. Socrate, évidemment, détruit les arguments de Lysias avec une agilité qui lui est connue, mais je ne les trouvais point pertinents et ne m’ont pas vraiment impressionné, encore moins convaincu.
La raison pourquoi je n’étais convaincu par les arguments de Socrate était très simple. Je ne crois pas que le problème soit de savoir si Carmen ou Lysias ont tort d’aimer de cette façon. Je suis justifié de croire que le problème est que Carmen et Lysias ne ressentaient tout simplement pas d’amour tout court. Bien sûr l’amour est une notion très complexe à définir. Mais ce n’est pas vraiment un problème de définition. Avant d’aborder Carmen et Lysias, entendons-nous sur la notion d’amour.
Les mots sont subjectifs pour définir l’amour, mais je crois que l'on peut trouver un terrain d’entente qui est selon moi commun avec la plupart des personnes. Toutes les fois que j’ai tenté de définir l’amour, j’en reviens à cette définition :
C’est une relation de communication très intense où la plupart des barrières émotionnelles et physiques disparaissent et les individus impliqués tentent de toucher les autres au plus profond de leurs âmes (dans un sens non spirituel).
J’exclus la dimension sexuelle, car le sexe et l’amour sont deux notions complètement différentes. On peut aimer son enfant sans avoir de désir sexuel à son égard, mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Je crois que l’on peut faire abstraction de ces cas d’exception, car je crois que ce sont des cas extrêmes, et l’on ne peut rien bâtir avec des cas extrêmes. J’exclus aussi l’amour des choses matérielles, qui ne me semble pas pertinente pour ce message.
Comment aime-t-on ? Directement, secrètement, les façons sont multiples. Pourquoi aime-t-on ? Les raisons sont infinies. Cela ne veut pas dire que toutes les raisons sont valables, et par valable je n’essais pas de créé un code d’éthique, mais plutôt en terme de valeur de vérité. Je suis justifié de croire qu’il y a des raisons qui transportent l’amour hors des frontières de sa définition, ou encore qui la transforme en quelque chose qu’elle n’est pas. Je crois que cette situation se produit lorsque certaines conditions sont enfreintes. Les premières qui me viennent à l’esprit sont celles-ci, mais je suis convaincu qu’il y en a d’autres.
- Respect de la liberté physique et mentale.
- L’honnêteté
- L’éducation
- Le rapport hiérarchique, qu’il soit supérieur/inférieur ou un rapport d’égalité.
- La réciprocité
Il y en a sûrement d’autres, mais je crois que ce sont quand même certaines des conditions importantes pour que l’amour puisse avoir lieu. L’amour ce n’est pas n’importe quoi. Ce n’est pas le charme, ce n’est pas le sexe, ce n’est pas l’admiration, encore moins l’obsession et la possession. C’est là que Carmen et Lysias se trompent lorsqu’ils parlent d’amour. Ce n’est pas de l’amour dont ils parlent tous les deux. Bien entendu, on peut aimer quelqu’un sans que l’autre personne n’ait l’intention de redonner de l’amour en retourne. Mais s’y entêter tombe dans l’obsession. Je ne crois pas que Carmen et Lysias sont obsédés par les autres, justement, ils ne veulent pas que les autres les aiment. Ils ont peur d’aimer. Ils ont peur de faire du mal. Mais avoir peur des gens, cela va à l’encontre de toutes sortes d’amour. C’est la peur tout court. On peut avoir peur de ressentir de l’amour ou encore de le dévoiler. La fin de la peur n’est cependant jamais l’amour, mais la peur elle-même, et parfois même bien plus. On peut penser à la distance que cela créé entre deux personnes, ce que l’on ne souhaiterait pas si l’on n’avait pas peur. Il y a aussi les mensonges qui s’installent entre ses deux personnes pour ne pas révéler leurs positions. Si l’on a peur d’aimer, c’est n’est pas parce qu’on a nécessairement peur de faire souffrir, du moins pas en totalité. C’est peut-être parce qu’on ne s’aime pas assez que l’on a peur d’aimer. Encore là, on peut avoir peur d’aimer, car l’on croit que l’on va vite se lasser de l’autre. Si c’était le cas, je crois que ce serait parce qu’on ne connaissait pas assez l’autre personne ou encore, que l’on ne se connaît pas assez. Mais si l’on part du fait que l’on se connaît, par conséquent nous savons ce que nous aimons et ce qui est bon pour nous (c’est difficile bien sûr, mais cela me semble essentiel) il n’y a pas de raison de se lasser de cette personne, à moins qu’elle en soit pas comme nous. Si c’est le cas ça revient à se nuire à soi-même, et toutes personnes qui acceptent cela n’auraient aucune raison de se plaindre par la suite. Bien entendu, ce n’est qu’un rêve. Les gens disent l’affirmer la plupart du temps, mais ce n’est pas le cas, ils tombent dans d’innombrables illusions. Si la personne s'avère être autre chose que ce que l'on croyait qu'elle serait, c’est un simple malentendu, mais ce n’est pas le cas de Lysias et de Carmen. Pour ce qui est de la peur de posséder l’autre, c’est très simple à réfuter, car cela va à l’encontre des conditions. Même chose lorsque l'on nuit à la liberté physique et de pensée de l'autre. Pour ce qui est de la peur de faire souffrir, c’est plus complexe. Dans le cas de Carmen et Lysias j’en déduis qu’il s’agit d’une souffrance mentale et non physique, et donc j’emploierais le terme souffrance en insinuant qu’il s’agit de souffrance émotionnelle. Je crois qu’il y a des prémisses à prendre en compte :
- Toute souffrance est inévitable
- Personne n’est entièrement à l’abri des souffrances.
- Chaque personne a le pouvoir de choisir comment il affronte la souffrance.
- La souffrance nous apprend des choses et nous aide à nous définir.
- Donc, la souffrance est à un certain essentielle dans l’existence.
Si l’on est d’accord avec ses prémisses, il est alors évident que Lysias et Carmen ne les respectent pas. Je suis justifié de croire que de faire souffrir les gens fait partie de l’amour, car en les protégeant de la souffrance, nous les empêchons de se définir et d’apprendre des choses qui peuvent leur être essentielles. Aimer quelqu’un c’est lui apprendre aussi à vivre avec les souffrances du monde. C’est lui apprendre qu’il y a autre chose que la douleur ou encore derrière cette douleur. S’empêcher d’aimer c’est s’empêcher de vivre soi-même et de faire vivre les autres. Bien entendu, je ne connais pas Carmen autre que les quelques lignes que j’ai lu sur ses dires. La même chose pour Lysias, que Socrate et Phèdre ne confrontent jamais directement, et ce, tout le long du dialogue.
Pour ce qui est de l’aspect liberté, je crois que la liberté et l’amour sont deux choses différentes. Ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas de relation l’un envers l’autre, au contraire, cela fait même parti de mes conditions. Et le fait qu’elles interagissent ensemble ne veut pas dire qu’elles sont inversement proportionnelles. Je ne crois pas en cette règle imaginaire ou rumeur quelconque. On tombe dans l’erreur logique, ce qui ne mène à rien, sans impliquer que l’amour ait quoi que ce soit de logique. Si l’on respecte les conditions de départ, mentionné plus haut, la liberté et l’amour ne se nuisent même pas. Bien sûr c’est de la théorie, dans la pratique il faut parler et agir. D’où l’importance de la communication et de trouver quelqu’un comme soit. Pourquoi aurions-nous peur alors ? Avoir peur de quelqu’un comme nous reviendrait à avoir peur de notre personne. Si la liberté devient un problème, c’est qu’elle a mal été communiquée au départ tout simplement. Si l’on a peur de communiquer, c’est un problème qui en amènera beaucoup d’autre, de plus cela enfreint l’une des conditions. Le libertin place sa liberté au-dessus de tout, c’est vrai. Aimer si l’on respecte les conditions, n’est pas un sacrifice de liberté. Ça n’empêche pas certains de l’interprété ainsi, mais je crois que ces personnes se trompent de la même façon qu’ils se trompent en disant qu’ils aiment les autres lorsque ces derniers ne les aiment pas.
On peut avoir peur du changement. C’est normal. Ce que nous amène l’amour peut nous faire peur, car nous avons peur de perdre des milliers de choses. Bien entendu, l’amour change notre univers et amène d’autres complications, tout comme n’importent quels autres événements. Le changement qu’amène l’amour, n’est pas propre à l’amour seulement. Certaines complications sont moins plaisantes que d’autre bien entendu, mais si l’on est avec quelqu’un qui est comme nous, les complications deviennent familières et les craintes peuvent devenir compréhension. Parfois, j’ai l’impression que l’amour est comme la connaissance, elle nous fait réaliser que nous ne sommes pas le Dieu que nous souhaitons être. Être un Dieu sans souffrance et libre comme tout. Je crois que cela fait parti du problème. En amour nous ne sommes pas Dieu et cela ne nous plaît pas. Je crois que c’est parce que naturellement, on ne tend pas vers les conditions d’amour. Nous tendons vers Dieu, naturellement, tout en l’ignorant. C’est en connaissant le monde que l’on se rend compte que nous n’en sommes pas un. L’amour est l’une des connaissances qui nous éloignent le plus de la tendance d’être Dieu. On pourra me reprocher d’avoir trouvé des conditions envers lesquelles nous ne tendons pas. On peut en comprendre que l’homme n’aime pas de façon naturelle. Je n’y crois pas justement. Je ne crois pas que l’homme est une créature capable d’amour dès la naissance. L’amour s’apprend ou reste dans l’ignorance. Je crois qu’à la base l’homme est égoïste, assoiffé de puissance, ou encore de Dieu. Est-ce qu’il y a un lien entre la liberté et vouloir être un Dieu ? Selon moi oui. Je ne crois pas que cette raison, que l’homme ne tend pas vers l’amour de façon naturelle, soit recevable ou pertinente pour se débarrasser des conditions. On ne se demande pas si l’homme tend naturellement vers le meurtre pour résoudre des problèmes. La réponse est oui, puisqu’il l’a toujours fait. Ça n’empêche pas que les hommes de prendre connaissance que cela ne mène à rien de pensée comme cela. Ce qui m’amène à dire que ce que l’on tend naturellement n’est pas nécessairement bon et vice versa. On peut aussi dire que c’est notre tendance égoïste naturelle qui nous amène à posséder les autres ou encore y trouver refuge ou en devenir prisonnier. Je répondrai que vous violez les conditions et que dès lors ce n’est plus de l’amour justement. Dès lors l’amour on peut s’en égarer facilement, diraient certains. Je crois que oui. L’amour ce n’est pas n’importe quoi, ni n’importe qui. C’est ce qui rend cela si précieux. C’est ce qui fait qu’on y revient souvent.
Si je peux me permettre, je vois même une relation entre l’amour et l’écriture. Quand j’écris, je ne sais pas vraiment pour qui exactement. Je pense qu’écrire est en fait, tout comme la philosophie et la connaissance, c'est une recherche de l’amour. Quand j’écris, je ne peux m’empêcher de vouloir être compris dans ce que j’écris. Je me dis que la personne qui lit ce message va me comprendre, du moins j’espère. Cependant, la façon dont elle comprendra ce que j’écris et ressens, ainsi que le degré de compréhension qu’elle aura des mots que j’écris, affectera beaucoup l’amour que je pourrai éprouver pour cette personne, qu’elle soit une femme ou un homme. Être compris c’est aussi ça l’amour. Par l’écriture, nous testons indirectement les gens. À savoir, comment peuvent-ils nous comprendre, jusqu’à quel point peuvent-ils le faire ? La personne qui comprendra exactement ce que je dis respecte mes conditions et par conséquent je l’aimerai, que ce soit une femme, ami, un enfant. De plus, je n’aurai pas à avoir peur.
Ça n’empêche pas Carmen et Lysias d’utiliser le mot aimé. Ils ont le droit de croire ce qu’ils veulent bien croire. Je ne crois pas que ce soit de l’amour par contre. Je n’y vois que de la peur au contraire. Je n’y vois qu’un Dieu. Être Dieu c’est prendre la liberté des autres. Peut-être que l’amour et Dieu ne peuvent faire bon ménage. Mais je crois que je m’écarte du but de ce message en m’avançant sur ce terrain. C’est une autre ligue, d’autres prémisses. Je crois qu’il est temps de dormir maintenant. Je suis justifié de croire que j’ai écrit la plupart de mes pensées. S’il y autre chose à être dit, il en relève de futures confrontations philosophiques qui me mettent déjà l’eau à la bouche. L’amour ne peut en être que gagnant de ses confrontations. Je vais donc me taire, avant que mes doigts n’en tapent plus.